La qualification juridique de la demande de nullité du rapport d’expertise et ses conséquences
Actualités - 21/02/2018LA QUALIFICATION JURIDIQUE DE LA DEMANDE DE NULLITE DU RAPPORT D’EXPERTISE ET SES CONSEQUENCES
Le décret n°2005-1678 du 28 Décembre 2005, entré en vigueur le 1er mars 2006 a modifié les compétences du juge de la mise en état.
Le nouvel article 771 du code de procédure civile issu de la réforme prévoit que le juge de la mise en état est exclusivement compétent, jusqu’à son dessaisissement à l’exclusion de toute autre formation du tribunal pour statuer sur les exceptions de procédure et les incidents mettant fin à l’instance.
Le non-respect de cette disposition a des lourdes conséquences procédurales puisque l’article 771 du CPC prévoit que les parties ne sont plus recevables à soulever ces exceptions ou incidents ultérieurement à moins qu’ils ne surviennent ou soient révélés postérieurement au dessaisissement du juge de la mise en état.
Il résulte des termes de l’article 175 du code de procédure civile que la nullité des décisions et actes d’exécution relatifs aux mesures d’instruction est soumise aux dispositions qui régissent la nullité des actes de procédures.
L’article 175 du code de procédure civile nous précise dès lors que les nullités des mesures d’instruction obéissent au régime des nullités des actes de procédure.
Le juge de la mise en état étant exclusivement compétent pour statuer sur les exceptions de nullité, il paraissait cohérent que les nullités des mesures d’instruction relèvent aussi de sa compétence exclusive. Depuis l’entrée en vigueur du décret du 28 décembre 2005, les parties n’ont eu de cesse de saisir le juge de la mise en état d’une demande de nullité du rapport d’expertise judiciaire jusqu’à un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation en date du 31 Janvier 2013.
Dans cette décision, la Cour de cassation a pu juger que la demande en nullité du rapport d’expertise ne constituait pas une exception de procédure au sens de l’article 73 du Code de procédure civile et que, dès lors, devant les juridictions de droit commun, elle échappait à la compétence exclusive du juge de la mise en état.
En effet, la Cour de cassation rappelle qu’une exception de procédure constitue au sens de l’article 73 du code de procédure civile : tout moyen qui tend soit à faire déclarer la procédure irrégulière ou éteinte, soit en suspendre le cours. Or, et dans la mesure où la nullité du rapport d’expertise n’avait pas pour effet de déclarer la procédure irrégulière de l’éteindre ou d’en suspendre son cours, elle n’était pas une exception de procédure. Seule la force probante du rapport d’expertise judiciaire contradictoire sera affectée par la nullité. Le demandeur devra solliciter de la juridiction qu’elle ordonne à l’expert de procéder à la régularisation de ses opérations entachées de nullités (art. 177 CPC), soit il aura la lourde tâche de produire d’autres éléments de preuves de ses prétentions en complément du rapport d’expertise judiciaire annulé.
Si la demande de nullité d’une expertise ne constituait pas une exception de procédure au sens de l’article 73 du CPC, quelle était sa nature juridique.
Le code de procédure civile distingue trois catégories de moyens de défense : les défenses au fond, les exceptions de procédure et les fins de non-recevoir.
Comme nous l’avons vu, la Cour de cassation considère que la nullité des opérations d’expertise ne constitue pas une exception de procédure. Elle ne peut être une fin de non-recevoir car celle-ci sanctionne le défaut du droit d’agir d’une partie. La nullité du rapport d’expertise n’a aucun effet sur le droit d’agir d’une partie.
Il reste alors la qualification de défenses au fond avec la particularité qui tient à son régime juridique puisqu’elles peuvent être soulevées en tout état de cause (art. 72 du CPC) alors que les nullités des mesures d’instructions obéissent au régime juridique des nullités des actes de procédures (art. 175 du CPC), c’est-à-dire qu’elles doivent donc être soulevées avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir à peine d’irrecevabilité. (art. 74 CPC)
Puisque la demande de nullité du rapport d’expertise constitue une défense au fond, la tentation était grande de soutenir qu’elle pouvait être soulevée en tout état de cause.
C’est la problématique posée devant la 1ère chambre de la Cour de cassation dans un arrêt du 30 avril 2014.
Dans cet arrêt, une partie soulevait pour la première fois en cause d’appel la nullité du rapport d’expertise au motif, que la mesure d’instruction avait été réalisée en méconnaissance du principe de la contradiction.
La demande de nullité du rapport d’expertise a été déclarée irrecevable au motif que le demandeur à la nullité n’avait pas soulevé cette nullité devant le premier juge avant toute défense au fond.
Un pourvoi a été formé à l’encontre de cet arrêt.
La question posée à la Cour de cassation était de savoir si la demande de nullité d’une mesure d’instruction ne constituait pas une défense au fond et relevait pas conséquence de son régime juridique ?
Dans l’arrêt qui nous est demandé de commenter, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi au motif « que si la demande de nullité d’une expertise ne constitue pas une exception de procédure mais une défense au fond, elle demeure soumise en application de l’article 175 du Code de procédure civile aux dispositions qui régissent la nullité des actes de procédure ; que Mme X. ayant présenté des défenses au fond avant de soulever la nullité du rapport d’expertise, la cour d’appel a décidé à bon droit que la nullité était couverte »
Il résulte de ce qui précède que la nullité du rapport d’expertise constitue une défense au fond mais qui doit, à peine d’irrecevabilité être soulevée simultanément avec les autres exceptions de procédure et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir.
Cet arrêt confirme que même si la demande de nullité des mesures d’instruction constitue une défense au fond, elle relève du régime des nullités de procédure.
En réalité la question qui se pose est de savoir si la demande de nullité des mesures d’instruction n’est pas un moyen de défense « sui generis ».